Opinions

Voici deux réactions à l'article de Morgane Gelly, « Cauchemar au cabinet », sur le phénomène peu connu des violences obstétricales et gynécologiques, publié mardi.

OPINION

Un consentement implicite, vraiment, docteur ?

« Ben là ! Qu'est-ce que vous pensez que j'allais faire ? » L’ex-docteur Allan B. Climan s’exaspère dans son bureau du chemin de la Côte-Sainte-Catherine, à Montréal.

Devant lui, une patiente est couchée sur le dos, les deux pieds hauts sur les étriers, nue, vulnérable. Sans avertir la patiente, l’ex-gynécologue insère de nouveau deux doigts dans son vagin.

Il lance alors « que [son] vagin contracté était peut-être agréable pour son mari pendant l'acte sexuel, mais qu'il l'empêchait de faire [son] examen ». La femme enceinte, qui était venue pour un simple examen obstétrical, confie à La Presse qu’elle a alors le sentiment qu’elle « venai[t] de vivre un viol un petit peu ».

À la suite d’une plainte de la patiente, l’ex-docteur Climan sera radié pour deux ans. Le Collège des médecins lui reproche d’avoir tenu « des propos abusifs et déplacés, à connotation sexuelle ». On relève surtout qu’il a dit à la patiente qu’il avait « hâte de [la] voir nue », qu’elle avait « un beau petit corps » et donc qu’elle avait sûrement « un beau vagin ». Confronté à ses actes, l’ex-médecin de plus de 35 ans d'expérience a expliqué qu’il évite désormais de parler de relations sexuelles avec ses patientes.

L’arbre qui cache la forêt

Le problème est justement là : tout tourne autour des propos de l’ex-docteur. Allan B. Climan a été radié en raison de ses paroles et celui-ci promet de ne plus tenir de tels commentaires. Le Collège des médecins semble satisfait. Personne ne s’attarde au fait qu’il a pénétré avec ses doigts la patiente sans son consentement, à part peut-être la patiente elle-même.

En fait, le secrétaire du Collège, le docteur Yves Robert, a plutôt défendu les gestes du gynécologue à cet égard. En entrevue avec La Presse, le docteur Robert explique qu’il existerait une forme de « consentement implicite » en médecine : lorsqu’une patiente rend visite à son gynécologue, elle consentirait à un examen gynécologique, sans devoir en être avertie à l’avance.

Ce fameux « consentement implicite » est au cœur de la manière dont, au Québec, les professionnels et professionnelles de la santé comprennent la notion de consentement. Dans un document sur le consentement aux soins publié par le Collège des médecins, on apprend que le consentement non verbal est « l’expression du consentement la plus fréquente dans la pratique ». Le document étale les différentes façons pour une personne d’exprimer son consentement sans pour autant le verbaliser : par exemple, en se rendant à la clinique, en tendant le bras pour un prélèvement sanguin ou en saisissant d’une main la prescription qu’on lui donne.

Outre ses propos grossiers et indignes, le problème de l’ex-docteur Climan est surtout sa vision du consentement dans un contexte médical. Pour lui, la pénétration digitale d’une patiente n’a pas besoin d’être annoncée, même lorsqu’elle lui demande explicitement de l’avertir.

Il voit, dans la simple présence de cette patiente dans son cabinet, un « consentement implicite » à tout examen, aussi intrusif soit-il. Pour lui, il ne s’agit que de la routine : « Ben là ! Qu'est-ce que vous pensez que j'allais faire ? »

Pour la patiente, à l’inverse, il ne s’agit pas d’un simple examen de routine. En fait, c’est pareil pour chacun et chacune d’entre nous. Lorsque nous nous rendons à la clinique ou à l’hôpital, c’est habituellement un événement qui sort de l’ordinaire ! Nous allons consulter pour des maux graves, qui nous inquiètent, ou allons voir un être cher au moment où il est le plus vulnérable. L’issue d’une visite à la clinique ou à l’hôpital peut chambouler notre vie.

A-t-on oublié le consentement sexuel ?

En plus d’être un événement particulier pour toute personne, la visite à la clinique est encore plus singulière pour une femme enceinte. Il ne s’agit pas d’un simple examen médical où on vous demande de tirer la langue et on vous donne un petit coup de marteau sur le genou. L’examen porte sur les parties génitales. Et l’examen est intrusif.

Dans le contexte d’un examen médical pénétrant, on peut facilement comprendre les failles de cette notion du « consentement implicite ».

Pour que les hommes comprennent mieux : comment vous sentiriez-vous si, pendant un examen médical annuel, votre médecin vous demandait de retirer votre pantalon et, sans explications ni avertissement, insérait deux doigts dans votre anus ? Si vous protestiez, votre médecin répondrait simplement : « Ben là ! Passé la cinquantaine, c’est le toucher rectal pour tout le monde. À quoi vous attendiez-vous ? » et procéderait à réinsérer ses doigts.

Le consentement implicite aux soins n’excuse pas tout. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’examen implique des parties génitales ou érogènes.

Pour plusieurs personnes, et avec raison, le consentement au toucher et à la pénétration de ces régions du corps est assimilable aux critères du consentement lors de relations sexuelles.

En d’autres mots, le consentement doit être libre, explicite et pouvoir être retiré en tout temps. De la même manière qu’on ne consent pas implicitement à l’acte sexuel simplement parce qu’on va à une date, ce n’est pas parce qu’on va à la clinique qu’on consent à une pénétration digitale.

Il y a donc une dissonance entre la compréhension des critères du consentement aux soins par des médecins et celle qu’entretiennent les patientes. Si le « consentement implicite » peut fonctionner lors d’un simple examen médical annuel, il n’a pas sa place dans le contexte d’examens obstétricaux et gynécologiques. Voilà qui est à la source de nombreuses violences médicales au Québec.

Un grand nombre de médecins ne sont pas comme l’ex-docteur Climan et veulent le bien de leurs patientes et patients. Pour plus de prudence, cependant, il y a lieu de s’entendre sur une même vision du consentement. Cette idée du consentement implicite ne convient pas aux examens intrusifs. Le Collège des médecins doit se pencher sérieusement sur la question.

OPINION

Je refuse les violences obstétricales

Les pratiques qualifiées de violences obstétricales et gynécologiques n’ont jamais eu leur place au Québec.

En tant que femme, obstétricienne gynécologue, ancienne présidente de l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec et de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada et actuelle présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, je dis non aux violences obstétricales.

Tout comme les lectrices et les lecteurs de La Presse, j’ai été choquée de lire l’histoire de la femme qui a vécu une expérience en obstétrique qu’elle a qualifiée de traumatisante. Espérons que cette mère et son enfant se portent bien. Ce cas isolé devait être décrié et c’est pourquoi le cas du médecin en cause a été analysé par les instances du Collège des médecins du Québec. On ne peut évidemment défendre ces rares cas indéfendables.

Cependant, je considère qu’il est essentiel pour la qualité du débat de rappeler quelques faits qui me semblent importants à prendre en compte. Je pratique en obstétrique-gynécologie depuis près de 25 ans, j’ai côtoyé de nombreux collègues qui ont comme moi réalisé des milliers d’accouchements dans leur carrière et j’ai vu tout autant de familles heureuses. Je peux aussi affirmer que je n’ai jamais observé de situations que l’on pourrait qualifier de « violences obstétricales et gynécologiques ».

Plusieurs actes médicaux se déroulent dans un contexte de douleur qui complexifie grandement les communications entre le médecin et la patiente. Accoucher, ça fait mal.

Je ne veux excuser d’aucune manière le manque de respect, mais l’urgence d’agir entre deux contractions fait en sorte que le consentement est parfois trop expéditif.

Entre le début de la souffrance fœtale et le moment de la réanimation, nous disposons de 12 courtes minutes (en situation de césarienne) pour donner naissance à un petit être sans séquelles. Une douzaine de minutes déterminantes pour toute la famille.

Respect et bonne communication

Je m’interroge toutefois sur l’importation de ce mouvement européen au Québec, où la pratique est différente. Ici, nous multiplions les options des femmes pour l’accompagnement vers la naissance et l’accouchement : maisons de naissances, accouchements à l’hôpital avec sages-femmes, suivis conjoints avec les médecins traitants pour transférer les femmes à la dernière minute lorsque leur petit bébé aura besoin de grands soins ou de chirurgie.

Nous offrons l’AVAC (accouchement vaginal après césarienne) dans tous les hôpitaux et, contrairement à ce qui est évoqué dans le texte, c’est une norme bien respectée par les gynécologues obstétriciens. Nous offrons aussi l’épidurale sur demande partout au Québec. Le respect et la bonne communication sont enseignés à toutes les étudiantes et tous les étudiants en médecine. Je suis moi-même professeure agrégée à l’Université de Montréal et j’y enseigne le respect inconditionnel des femmes depuis 25 ans, avec mes collègues infirmières.

Lorsqu’il est question de respect des femmes, c’est tolérance zéro ! Comme rien n’est parfait, nous continuerons de nous améliorer tout en évitant d’importer des problèmes qui ne sont pas les nôtres.

Je vous invite, mesdames, à nous faire signe si vous sentez qu’on vous manque de respect. Votre médecin a votre santé à cœur et celle de votre bébé, mais la communication est un défi pour tous, particulièrement en période névralgique.

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